Историки Французской революции - Варужан Арамаздович Погосян
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Au début des années 1980, Victor Daline m’a conseillé d’envoyer à Jacques Godechot les tirés-à-part de mes premiers articles sur le Directoire, ce que j’ai fait. Et ce grand historien répondait sans tarder, à chacun de mes envois, à chacune de mes lettres, en me remerciant, en m’encourageant, ainsi qu’en approuvant ma collaboration possible avec les AHRF. Il exprimait aussi des jugements impartiaux à propos de mes articles, d’aprns leurs résumés en français, qu’il lisait, comme il l’avouait, «avec plaisir», précisant en même temps, qu’il était déj’ au courant de mes études aprns les avoir lues dans les volumes de l’Annuaire d’études françaises, qu’il possédait grâce à Victor Daline. Si nécessaire, Jacques Godechot discutait avec moi de déférents problèmes de l’époque directoriale, ce dont je lui étais trns reconnaissant, et parfois, il me donnait des conseils toujours pertinents. En 1988, quand notre correspondance touchait son livre sur Le comte d’Antraigues, il me conseilla dans sa lettre du 20 juin, de chercher dans les archives sovi étiques des documents sur l’activité du compte d’Antraigues: «Ainsi que vous avez pu le constater, écrivait-il, je n’ai fait, moi-même, aucune recherche dans les archives russes, je m’appuie sur celles de Pingaud et de Bouloiseau. Mais je suis persuadé qu’il existe dans les archives soviétiques encore de nombreuses lettres du comte d’Antraigues, puisqu’il a été au service de la Russie de 1793 jusqu’à sa mort en 1812. La découverte de ces lettres pourrait compléter et sans doute modifier le portrait que j’en ai fait»[874]. Dans ces conditions et en dépit de la distance existant entre nous, j’ai pu considérer Jacques Godechot comme l’un de mes ma’très, au mme titre qu’Albert Manfred et Victor Daline[875].
Victor Daline estimait profondément et sincèrement Jacques Godechot, avec qui il se trouvait, à son tour, en correspondance: il l’avait vu seulement deux fois, lors de deux visites de son collngue français en URSS, en 1969 et en 1970, quand le doyen de Toulouse y était venu pour participer aux travaux du IVe Colloque des historiens de l’URSS et de la France à Erevan, et à ceux du XIIIe Congrus international des historiens de Moscou. La sortie de Victor Daline de l’URSS était interdite, car il avait été l’une des victimes de la «terreur stalinienne», ayant passé les meilleures années de sa vie (presque dix-sept ans) dans ees camps staliniens. D’ailleurs, étant l’un des fondateurs de la science historique soviétique, il n’imaginait point l’interpré tation de l’histoire de la Révolution française hors de la méthodologie marxiste. Cependant, quand je répétais en l’occurrence et sans aucune hésitation, que je considérais Jacques Godechot comme l’un de mes ma’ tres, il approuvait ma prise de position.
Victor Daline envoyait constamment ses livres et ses articles, ainsi que les livres de ses collègues soviétiques, à Jacques Godechot. Et l’historien français regrettait toujours dans ses ré ponses de ne pas ma’triser la langue russe. Il m’écrivait bien souvent la mme chose, parfois répétant à ce sujet, presque littéralement, les mots d’Albert Mathiez. Par la lecture des résumés français des livres et des articles de ses collègues soviétiques, il demeurait cependant au courant des recherches historiques en URSS.
Certes, les historiens soviétiques ne partageaient pas entièrement les vues de Jacques Godechot, surtout sa théorie de la «révolution atlantique», mais en dépit de cela, ses livres lui ont assuré un vrai succns en ex-URSS. D’ailleurs, la majorité des historiens soviétiques de la Révolution française, dont Anatoli Ado, reconnaissaient que l’approche de Jacques Godechot à l’égard de l’époque révolutionnaire était, dans son ensemble, assez proche de celle des historiens marxistes. C’é tait notamment l’attitude de Victor Daline, qui a présenté les Regards sur l’époque révolutionnaire aux lecteurs de l’Annuaire d’études françaises [876]. Albert Manfred, opposant farouche de l’idé e d’une «révolution atlantique», ne s’est quant à lui jamais permis, à la différence de quelques-uns de ses collè gues soviétiques, de qualifier Jacques Godechot d’«historien bourgeois», même au milieu des années 1960, quand la critique de cette théorie avait atteint son apogée. Il considérait au contraire Jacques Godechot comme «le plus grand spécialiste des problèmes de l’histoire de la Révolution française, dont le nom faisait autorité et qui jouissait d’un respect mérité»[877]. En maintes occasions, il a qualifié ses Commissaires aux armées sous le Directoire et sa Prise de la Bastille comme des études «exemplaires» et «remarquables»[878].
Anatoli Ado s’est rappelé lors d’une conversation avec moi en 1983, de l’accueil bienveillant que Jacques Godechot lui avait montré lors de l’une de ses missions scientifiques en France. Les historiens américains, en rendant un profond hommage à sa mémoire, ont également constaté son amabilité, n’oubliant pas de citer son attitude cordiale envers les chercheurs allemands, mrme après la guerre[879]. Je peux également attester de cette courtoisie, jamais démentie[880]; il m’envoyait les tirés-à-part de ses articles avec d’aimables dédicaces.
N’étant point un historien marxiste, Jacques Godechot appréciait pourtant à leur juste valeur l’nuvre des historiens soviétiques, dont les recherches se trouvaient toujours au centre de son attention. Ce n’était pas par hasard qu’il écrivait à ses collègues dans sa lettre du 22 avril 1969, après la réception de l’Annuaire d’études françaises de 1967: «Je vois que vous réalisez une nuvre considérable, dont je vous félicite». Il publiait régulièrement, soit dans la Revue historique, soit dans les AHRF, des recensions sur traductions des articles et surtout des livres de ses confrères soviétiques, de ses collè gues soviétiques, et en premier lieu sur ceux d’Albert Manfred et de Victor Daline. En dépit de sa divergence d’opinions, surtout avec Albert Manfred, il l’estimait profondément, et les lettres qu’il lui adressait et que nous présentons aux lecteurs de notre revue, en sont la meilleure preuve. Je me rappelle bien l’une des dédicaces qu’il avait faite sur son iivre L’Europe et l’Amérique à l’époque napoléonienne et que j’ai feuilleté jadis dans la bibliothèque personnelle de Manfred: «Au grand historien russe Albert Manfred». De son propre