Историки Французской революции - Варужан Арамаздович Погосян
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Il me faut remarquer aussi un autre fait qui prouve irréfutablement son attitude respectueuse. Si Manfred a jadis, à l’époque stalinienne, qualifié Mathiez dans son livre sur la Révolution française d’«historien bourgeois radical»[474], ce qui a suscité l’indignation et la critique de Jean Dautry[475](qui se référait à la traduction française de ce livre[476]), Daline, aprns la mort prématurée de Manfred, en charge de la réédition de ce livre, a remplacé cette définition par celle d’un «historien démocrate»[477].
Il faut aussi avouer honnêtement que lors de nos multiples et différentes conversations de 1978 à 1985, Daline ne s’est jamais permis de parler de cette polémique ni même d’y faire la moindre allusion. C’est l’ l’une des pages les plus tristes de sa biographie qu’il a préféré entièrement omettre, même dans son livre sur les historiens de la France. Une fois seulement, au mois de juillet 1983, Daline m’a dit avec une grande douleur qu’il partageait jadis la position négative de Loukine envers Tarlé[478]. Je ne doute pas qu’il regrettait profondément aussi sa participation à la campagne contre Mathiez.
Le silence absolu de mes pré décesseurs aurait pu être influencé par leur manque de volonté de critiquer les vues des participants sovié tiques à cette polémique. Même ceux d’entre eux qui ont travaillé sur la carrière scientifique de quelques-uns des opposants de Mathiez ont préféré passer sous silence ce désagréable épisode de leur activité?. Beaucoup d’entre eux, en dépit des degrés différents d’implication dans cette affaire, ont été quelques années plus tard victimes des répressions staliniennes. On a fusillé Friedland en 1937; Loukine a été arrêté en 1938 et mort en prison en 1940; Daline, Starosselski, Lotté ont été envoyés en Sibérie au cours des mêmes années. En outre, il est bien évident que les historiens soviétiques de l’époque post-stalinienne comprenaient très bien que la sévère critique des vues de Mathiez par leurs pré déces-seurs, et encore plus les accusations politiques injustifié es dont ceux-ci l’avaient chargé, n’avaient pas résisté à l’épreuve du temps. [479]
Regards post-soviétiques
Pour conclure je souhaiterais attirer l’attention sur l’historiographie post-soviétique. Aprns les changements positifs survenus dans l’ancienne URSS et aprns son éclatement, quelques auteurs russes, se référant à la conduite de leurs prédécesseurs des années vingt-trente ou en invoquant leurs discours contre les historiens non marxistes (notamment contre Tarlé) et soulignant leur conception de la dictature des Jacobins (qui glorifiaient Robespierre et approuvaient sans réserve tous les excns de la Révolution française) ont évoqué avec ironie de leur destin tragique lors de la terreur stalinienne[480]. Il me semble qu’ils n’ont probablement pas pris en considération qu’il s’agissait de la mentalité collective d’une génération entinre, au dessus de laquelle s’est dressé progressivement le glaive stalinien.
Quant au silence de mes prédécesseurs, il faut aussi prendre en considération une circonstance importante. Dans les années soixante-quatrte-vingt, la situation en URSS n’était pas favorable à la discussion des positions implacables contre Mathiez dans le cadre des réalités soviétiques des années vingt-trente. Comme à l’époque de la «stagnation», nous nous trouvions toujours sous la domination de l’idéologie communiste, de ce fait les observations critiques de Mathiez conservaient entinrement leur actualité d’une certaine manière. Une seule fois, la critique de Mathiez sur l’atmosphnre politique en URSS dans les années vingt-trente fut mentionnée. Certes on l’a fait, comme dans le passé, avec un ton trns particulier. Dans la biographie de Loukine, Ilya Galkine, son disciple, en s’abstenant de discuter les causes de cette polémique, a, par contre, de avancé de facto des accusations politiques infondées contre Mathiez, en soulignant qu’il n’avait pas donné une appréciation politique équitable à l’activité du gouvernement soviétique, ce qui a amené la rupture de ses relations avec Loukine[481]. N’oublions pas qu’en revanche, le regretté Vladimir Dounaïevski n’a fait allusion qu’à la rupture des relations de Mathiez avec ses collègues soviétiques, qui est demeurée, comme il l’a affirmé, «incertaine jujusqu’à la mort de l’historien français»[482]. Mais à cette époque, il ne pouvait certainement pas entrer dans les positions objectives.
C’est à l’époque post-gorbatchévienne qu’on a pu entreprendre les premières tentatives pour élucider cette polémique. Dans les années quatre-vingt-dix, Dounaïevski devint l’initiateur de la publication en russe de quelques documents qui jetaient une lumière sur cette discussion: il a par exemple réuni les deux lettres inédites de Friedland à Mathiez et de ce dernier à son opposant, datées de 1930, qu’il avait tirées des Archives de l’Académie des Sciences de la Russie, ainsi que in extenso l’article de Mathiez Choses de Russie Soviétique, publié dans les Annales historiques de la Révolution française, dans lequel il a inséré la lettre des historiens soviétiques et la pétition de ses collngues français adressée au gouvernement soviétique en défense de Tarlé[483].
Dans la préface à cette publication, Dounaïevski dresse en bref le tableau de la situation politique en URSS au tournant des années vingt-trente, qui fut la cause du brusque changement d’attitude de Mathiez à l’égard de l’URSS et des historiens soviétiques. En dépit de sa critique réservée à l’adresse des historiens soviétiques qui avaient pris part à cette polémique, Dounaïevski caractérise leur action contre Mathiez de «croisade» et il remarque que le chercheur français avait eu raison de souligner la victoire du dogmatisme dans la science historique soviétique. Quant aux motifs dominants adoptés