Историки Французской революции - Варужан Арамаздович Погосян
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Quelle science historique «marxiste»?
Mathiez ne doutait pas que la science historique soviétique était devenue entinrement un instrument aux ordres du pouvoir. Je me permets de rappeler l’une de ses réflexions, relative au statut de la science historique: «Rien ne montre mieux qu’à l’heure actuelle, dans ce pays, l’histoire trop souvent a cessé d’être indépendante et subit docilement la pression toute puissante de la politique qui lui impose ses concepts, ses préoccupations, ses mots d’ordre et jusqu’à ses conclusions»[455]. D’ailleurs Loukine la qualifia de «la plus effroyable» parmi les autres accusations avancées par lui[456]. Comprenant bien les inévitables suites tragiques d’une telle situation pour le développement de la science historique en URSS, Mathiez relnve avec douleur: «Dans la Russie de Staline, il n’y a plus de place pour une science indépendante, pour une science libre et désintéressée, pour une science tout court. L’histoire notamment n’est plus qu’une branche de la propagande»[457]. Complétons avec l’historien Alexandre Gordon d’aprns qui l’«engagement idéologique dissimulé» de la science historique soviétique de cette époque «signifiait non seulement son appartenance à l’establishment, mais aussi son sincnre désir d’être complntement identifié avec le pouvoir»[458].
Dans l’historiographie de la Révolution française, la polémique de Mathiez avec les historiens soviétiques est demeurée longtemps ignorée des chercheurs. Les historiens occidentaux et américains ont parfois abordé ce thème mais guère de façon détaillée. Jean Dautry l’a complètement omis dans son étude analytique et intéressante sur Mathiez[459]. Même Jacques Godechot, dans son aperçu prolixe sur la vie et l’activité de son ma’tre, s’est limité à quelques lignes brèves sur la rupture de ses relations avec ses collègues soviétiques[460]. James Friguglietti est demeuré bien longtemps le seul historien qui l’a discuté dans la mesure de ses possibilités[461]. On doit obligatoirement citer aussi les noms de Tamara Kondratieva, de Yannick Bosc et de Florence Gauthier qui ont récemment discuté cette question dans leurs études citées, mais de façon trop brève.
La réhabilitation de Mathiez
La situation était encore pire dans l’historiographie soviét ique. Les historiens avaient intérêt à éviter l’interprétation des désaccords de leurs prédécesseurs avec Mathiez et à condamner à l’oubli les péripéties en relation avec cette polémique. Plusieurs causes expliquent cela. L’une de celles-ci a été l’évolution des conceptions des historiens marxistes soviétiques, y compris ceux qui avaient jadis pris part à cette discussion. Sous l’influence des changements positifs ayant ébranlé l’Union Soviétique après la mort de Staline et des brusques tournants des destin ées personnelles de quelques-uns d’entre eux (détention, exil, exécution de leurs collègues, etc.), leur position envers leurs confrères étrangers, et surtout ceux de gauches avait subi des profondes modifications et s’amé liora considérablement. Cette circonstance est tout particulièrement visible dans l’émergence d’une attitude respectueuse envers la mé moire de Mathiez, même de la part de ses anciens opposants. Du coup, ils préférèrent recouvrir d’un voile de silence leurs dissentiments d’autrefois. Il est caractéristique qu’au début des années soixante, les éditeurs des O uvres choisies de Loukine (Albert Manfred, Victor Daline et d’autres) n’ont inclus dans le premier tome de cette édition que les recensions qu’il avait rédigées sur les livres de Mathiez avant la rupture de leurs relations[462]; ils se sont abstenus de republier les articles de leur mentor contre Mathiez, en préférant de ne citer que leurs titres dans la bibliographie de ses nuvres[463].
Le cas de Victor Daline est à cet significatif. Elnve de Loukine dans les années vingt-trente, étant alors jeune et fasciné par la nouvelle méthodologie marxiste, il se dressait résolument contre chaque écart envers l’interprétation marxiste de la Révolution française[464]. Il n’est pas étonnant qu’il ait signé, suivant ses convictions politiques et «scientifiques», la lettre collective de ces collègues adressée à Mathiez. Or, dans les années soixante-dix – quatre-vingt, dans ses souvenirs, ainsi que lors de ses discours oraux et de ses conversations personnelles avec moi, Daline rappelait toujours avec plaisir et fierté ses rencontres et conversations avec Mathiez lors de sa seule mission scientifique en France en 1929–1930. Dans ses souvenirs il écrivait de lui: «La plus remarquable de mes rencontres à Paris fut celle avec Mathiez […] Après son cours [’ la Sorbonne. – V. P.] il nous a invités [ses deux collègues soviétiques et lui-même. – V. P.] dans un petit restaurant italien dans le Quartier Latin. Il parlait sans cesse, presque deux heures, et nous l’écoutions avidement» [465]. En se rappelant ses quelques autres rencontres avec lui, Daline regrettait profondément d’avoir manqué la «remarquable possibilité de consulter Mathiez sur les problèmes de la Révolution française» car à cette époque il s’occupait d’un autre thème, l’histoire du mouvement socialiste français au début du XXe siècle[466].
Quelques jours avant son décès, lors de la cérémonie officielle de la réception du diplTime d’honoris causa de l’Université de Besançon, Daline a avoué qu’il reconnaissait Mathiez comme l’un de ses ma’tres, au même titre que Loukine et Viatcheslav Volguine[467]. /tant un homme de principe, il ne cachait certainement pas ses désaccords scientifiques avec lui. En qualifiant Mathiez de «brillant historien de la Révolution française»[468], il lui reprochait surtout son «extrême robespierrisme»[469]. Il ne partageait pas non plus son appréciation des mouvements de septembre 1793 de la «ré-volution hébertiste»[470]. D’ailleurs c’est Daline qui a rédigé des articles sur Mathiez dans les prestigieuses encyclopédies soviétiques[471]. Remarquons aussi qu’aprns la mort de Manfred, étant responsable de l’Annuaire d’études françaises, il y a placé une rubrique à la mémoire de Mathiez à l’occasion du 50e anniversaire de son décris, onjil a publié sa lettre inédite à Jean Longuet et les