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Le fou de Bergerac - Simenon

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— Vous disiez que vous préférez être installé dans une chambre d’hôtel ?

— Oui… J’y ferai venir ma femme…

— Vous voulez vous occuper de cette affaire ?

— Et comment !

La pluie eût suffi à tout gâcher. Mais il n’y eut pas une goutte de pluie pendant quinze jours pour le moins.

Et Maigret fut installé dans la plus belle chambre de l’Hôtel d’Angleterre, au premier étage. Son lit fut tiré près des fenêtres, si bien qu’il jouissait du panorama de la grand-place, où il voyait l’ombre quitter un rang de maisons pour passer lentement au rang opposé.

Mme Maigret acceptait la situation comme elle acceptait tout, sans étonnement, sans fièvre. Elle était depuis une heure dans la chambre, que cette chambre devenait sa chambre, qu’elle y apportait ses petites commodités, sa note personnelle.

Deux jours avant, elle devait être la même au chevet de sa sœur qui accouchait, en Alsace.

— Une grosse fille ! Si tu la voyais ! Elle pèse près de cinq kilos…

Elle questionnait le chirurgien.

— Qu’est-ce qu’il peut manger, docteur ? Un bon bouillon de poule ? Il y a une chose que vous devez lui interdire : c’est sa pipe !… C’est comme la bière ! Dans une heure, il va m’en demander…

Il y avait au mur un papier peint merveilleux rouge et vert ! Un rouge sanglant ! Un vert criard ! De longues raies qui chantaient dans le soleil !

Et les méchants petits meubles d’hôtel, en pitchpin verni, mal d’aplomb sur des jambes trop grêles !

Une chambre immense, à deux lits. Et une cheminée vieille de deux siècles dans laquelle on avait installé un radiateur bon marché !

— Ce que je me demande, c’est pourquoi tu es descendu derrière cet homme… Suppose que tu sois tombé sur les rails… Une idée !… Je vais te préparer une crème au citron… J’espère qu’ils me laisseront disposer de la cuisine.

Les moments de rêve étaient plus rares, maintenant. Même quand il fermait les yeux dans un rayon de soleil, Maigret avait des idées à peu près nettes.

Mais il continuait à agiter des personnages créés ou reconstitués par son imagination.

— La première victime… La fermière… Mariée ?… Des enfants ?…

— Mariée avec le fils des fermiers… Mais elle ne s’entendait pas fort avec sa belle-mère qui l’accusait d’être trop coquette et de mettre des combinaisons en soie pour traire les vaches…

Alors, patiemment, avec amour, comme un peintre brosse une toile, Maigret échafaudait en esprit un portrait de la fermière, qu’il voyait appétissante bien en chair, bien lavée, apportant, dans la maison de ses beaux-parents, des idées modernes et consultant des catalogues de Paris.

Elle revenait de la ville… Et il voyait très bien la route… Elles devaient se ressembler toutes, à cause des grands arbres mettant de l’ombre des deux côtés… Et du sol crayeux, très blanc, vibrant au moindre rayon de soleil…

Puis la gamine sur son vélo.

— Est-ce qu’elle avait un amoureux ?

— On n’en parle pas ! Tous les ans, elle allait passer quinze jours de vacances à Paris chez une tante…

Le lit était moite. Le chirurgien venait deux fois par jour. Après le déjeuner, Leduc arrivait dans sa Ford, faisait des manœuvres maladroites sous les fenêtres avant de se mettre dans l’alignement.

Le troisième matin, il vint avec un chapeau de paille, lui aussi, comme le commissaire de police.

Le procureur fit une visite. Il prit Mme Maigret pour la servante et lui tendit sa canne et son chapeau melon.

— Bien entendu, vous excuserez la méprise… Mais le fait que vous n’aviez pas de papiers sur vous…

— Oui ! Mon portefeuille a disparu. Mais asseyez-vous donc, cher monsieur…

Il avait toujours un air agressif. Il n’y pouvait rien. Cela tenait à son petit nez en boule, aux poils trop raides de sa moustache.

— Cette affaire est lamentable et menace la tranquillité d’un si beau pays… Que cela arrive à Paris, où le vice règne à l’état endémique… Mais ici !…

Sacrebleu ! Lui aussi avait d’épais sourcils ! Comme le paysan ! Comme le docteur ! Des sourcils gris pareils à ceux que Maigret attribuait machinalement à l’homme du train !

Et une canne à pommeau d’ivoire sculpté.

— Enfin ! J’espère que vous vous rétablirez rapidement et que vous ne garderez pas un trop mauvais souvenir de notre région !…

Ce n’était qu’une visite de politesse. Il avait hâte de s’en aller.

— Vous avez un excellent médecin… Il est élève de Martel… Dommage que, pour le reste…

— Quel reste ?…

— Je m’entends… Ne vous tracassez pas… À bientôt… Je ferai prendre chaque jour de vos nouvelles.

Maigret mangea sa crème au citron, qui était un pur chef-d’œuvre. Mais il souffrait de sentir un fumet de truffes qui montait de la salle à manger.

— C’est inouï ! disait sa femme. Ici, ils servent les truffes comme ailleurs les pommes à l’huile ! À croire qu’elles ne coûtent que deux sous ! Même au menu à quinze francs…

Et c’était au tour de Leduc.

— Assieds-toi… Un peu de crème ?… Non ?… Qu’est-ce que tu sais de la vie intime de mon docteur, dont j’ignore même le nom…

— Le docteur Rivaud !… Je ne sais pas grand-chose… Des on-dit… Il vit avec sa femme et sa belle-sœur… Les gens du pays prétendent que la belle-sœur est autant sa femme que l’autre… Mais…

— Et le procureur ?

— M. Duhourceau ?… On t’a déjà dit ?…

— Va toujours !

— Sa sœur, qui est veuve d’un capitaine au long cours, est folle… D’autres affirment qu’il l’a fait interner à cause de sa fortune…

Maigret jubilait. Son ancien camarade le regardait avec ahurissement, assis sur son lit, faisait de petits yeux pour contempler la place.

— Et encore ?

— Rien ! Dans les petites villes…

— Seulement, vois-tu, mon vieux Leduc, ceci n’est pas une petite ville comme une autre ! C’est une petite ville où il y a un fou !

Le plus drôle, c’est que Leduc manifestait une réelle inquiétude.

— Un fou en liberté ! Un fou qui n’est fou que par intermittence et qui, le reste du temps, va et vient, parle comme toi et moi…

— Ta femme ne s’ennuie pas trop ici ?

— Elle bouleverse les cuisines. Elle donne des recettes au chef et recopie celles qu’il lui refile… Au fond, c’est peut-être le chef qui est fou…

Il y a une véritable griserie d’avoir échappé à la mort, d’être convalescent, d’être dorloté, surtout, dans une atmosphère irréelle.

Et de faire travailler son cerveau quand même, par dilettantisme…

D’étudier un pays, une ville, de son lit, de sa fenêtre…

— Est-ce qu’il existe une bibliothèque municipale ?

— Parbleu !

— Eh bien ! tu serais un amour d’aller m’y chercher tous les bouquins qui traitent des maladies mentales, des perversions, des manies… Et aussi de me monter l’annuaire des téléphones… Très instructif, l’annuaire des téléphones !… Demande donc en bas si leur appareil a un long fil et si on peut de temps en temps me l’apporter ici…

La somnolence arrivait. Maigret la sentait monter en lui comme une fièvre, l’envahir jusqu’en ses fibres les plus profondes.

— Au fait, demain, tu déjeunes ici… C’est samedi…

— Et je dois acheter une chèvre ! acheva Leduc en cherchant son chapeau de paille.

Quand il sortit, Maigret avait déjà les yeux clos et un souffle régulier s’exhalait de sa bouche entrouverte.

Le commissaire retraité rencontra le docteur Rivaud dans le corridor du rez-de-chaussée. Il le prit à part, hésita longtemps avant de murmurer :

— Vous êtes sûr que cette blessure ne peut pas avoir influé sur… sur l’intelligence de mon ami ?… Tout au moins sur… Je ne sais comment dire… Vous me comprenez ?… Le médecin esquissa un geste vague de la main.

— D’habitude, c’est un homme intelligent ?

— Très intelligent ! Il n’en a pas toujours l’air, mais…

— Ah !…

Et le chirurgien s’engagea dans l’escalier, le regard rêveur.

III

Le billet de deuxième classe

Maigret avait quitté Paris le mercredi après-midi. Dans la nuit, il recevait un coup de feu à proximité de Bergerac. Il passait à l’hôpital les journées de jeudi et de vendredi. Le samedi sa femme arrivait d’Alsace et Maigret s’installait avec elle dans la grande chambre du premier étage, à l’Hôtel d’Angleterre.

C’est le lundi que Mme Maigret lui dit tout à coup :

— Pourquoi n’as-tu pas voyagé avec ton libre parcours ?

Il était quatre heures de l’après-midi. Mme Maigret, qui ne tenait jamais en place, mettait, pour la troisième fois, de l’ordre dans la chambre.

Devant les fenêtres, les stores clairs étaient descendus jusqu’à mi-hauteur et, derrière leur écran lumineux, l’atmosphère bourdonnait de vie.

Maigret, qui fumait une de ses premières pipes, regarda sa femme avec un certain étonnement. Il lui sembla qu’en attendant sa réponse elle évitait de se tourner vers lui et qu’elle était rose, gênée.

La question était saugrenue. En effet, il possédait comme tous les commissaires de la Brigade mobile, un libre parcours de première classe lui permettant de voyager dans la France entière. Il s’en était servi pour venir de Paris.

— Viens t’asseoir ici ! grommela-t-il.

Et il vit sa femme hésiter. Il la força presque à s’asseoir au bord du lit.

— Raconte !

Il la regardait malicieusement et elle se troublait davantage.

— J’ai eu tort de te poser la question comme cela. Si je l’ai fait, c’est que par instants tu es bizarre.

— Toi aussi !

— Que veux-tu dire ?

— Qu’ils me trouvent tous bizarre et qu’au fond ils n’ont pas une foi entière dans mon histoire du train. Et maintenant…

— Oui ! Eh bien ! voilà ! Tout à l’heure, dans le corridor, juste en face de notre porte, je changeais le paillasson de place et j’ai trouvé ceci…

Bien que vivant à l’hôtel, elle portait un tablier pour se sentir un peu chez elle, comme elle disait. Elle tira un petit carton de sa poche. C’était un billet de seconde classe Paris-Bergerac, à la date du mercredi précédent.

— Près du paillasson… répéta Maigret. Prends un papier et un crayon…

Elle obéit sans comprendre, mouilla la mine.

— Écris… D’abord le patron de l’hôtel, qui est venu vers neuf heures du matin prendre de mes nouvelles… Puis le chirurgien, un peu avant dix heures… Mets les noms en colonne… Le procureur est passé à midi et le commissaire de police est entré au moment où il s’en allait…

— Il y a encore Leduc ! risque Mme Maigret.

— C’est cela ! Ajoute Leduc ! Est-ce tout ? Plus, bien entendu, n’importe quel domestique de l’hôtel ou n’importe quel voyageur qui peut avoir laissé tomber le billet dans le corridor.

— Non !

— Pourquoi non ?

— Parce que le corridor ne conduit qu’à cette chambre ! Ou alors, il s’agirait de quelqu’un qui est venu écouter à la porte !

— Demande-moi le chef de gare au téléphone !

Maigret ne connaissait ni la ville, ni la gare, ni aucun des endroits dont les gens lui parlaient. Et pourtant il avait déjà reconstitué, en esprit, un Bergerac assez précis, où il ne manquait presque rien.

Un guide Michelin lui avait fourni un plan de la cité. Or, il était installé au cœur même de celle-ci. La place qu’il voyait était la place du Marché. Le bâtiment qui s’amorçait à droite était le Palais de Justice.

Le guide disait : « Hôtel d’Angleterre. Premier ordre. Chambres depuis 25 francs. Salles de bains. Repas à 15 et 18 francs. Spécialité de truffes, foie gras, ballottines de volaille, saumon de la Dordogne. »

La Dordogne était derrière Maigret, invisible. Mais il en suivait le cours à l’aide de toute une série de cartes postales. Une carte postale encore lui montrait la gare. Il savait que l’Hôtel de France, de l’autre côté de la place, était le concurrent de l’Hôtel d’Angleterre.

Et il imaginait les rues convergeant vers les grandes routes comme celle qu’il avait suivie d’une démarche vacillante.

— Le chef de gare est à l’appareil !

— Demande-lui si des voyageurs sont descendus du train de Paris, jeudi matin.

— Il dit que non !

— C’est tout !

C’était presque mathématiquement sûr que le billet appartenait à l’homme qui avait sauté sur la voie un peu avant Bergerac et qui avait tiré sur le commissaire !

— Sais-tu ce que tu devrais faire ? Aller voir la maison de M. Duhourceau, le procureur, puis celle du chirurgien…

— Pourquoi ?

— Pour rien ! Pour me raconter ce que tu auras vu.

Il resta seul et en profita pour dépasser le nombre de pipes qui lui était permis. Le soir tombait doucement et la grand-place était toute rose. Les voyageurs de commerce rentraient les uns après les autres de leur tournée, arrêtaient leur auto sur le terre-plein, devant l’hôtel. On entendait, en bas, le heurt des billes de billard.

C’était l’apéritif, dans la salle claire où le patron en bonnet blanc de cuisinier venait, de temps en temps, jeter un coup d’œil.

— Pourquoi l’homme du train est-il descendu avant l’arrêt, au risque de se tuer, et pourquoi, se voyant suivi, a-t-il tiré ?

En tout cas, l’homme connaissait la ligne, car il avait sauté sur le ballast au moment précis où le train ralentissait !

S’il n’était pas allé jusqu’à la gare, c’est que les employés le connaissaient !

Ce qui ne suffisait pas à prouver, d’ailleurs, que c’était l’assassin de la fermière du Moulin-Neuf et de la fille du chef de gare !

Maigret se souvenait de l’agitation de son compagnon de couchette, de sa respiration irrégulière, des silences suivis de soupirs désespérés.

— À cette heure-ci, Duhourceau doit être chez lui, dans son bureau, à lire les journaux de Paris ou à compulser des dossiers… Le chirurgien fait le tour des salles, suivi de l’infirmière… Le commissaire de police…

Maigret était sans hâte. D’habitude, au début d’une enquête, il était en proie à une impatience qui ressemblait à du vertige. L’incertitude lui était pénible. Il n’avait de paix que quand il commençait à pressentir la vérité.

Cette fois, c’était le contraire, peut-être à cause de son état.

Le docteur ne lui avait-il pas dit qu’il ne se lèverait pas avant une quinzaine de jours et qu’alors encore il devrait être très prudent ?

Il avait le temps. De longues journées à tuer en reconstituant, de son lit, un Bergerac aussi vivant que possible, avec tous les personnages à leur place.

— Il va falloir que je sonne pour qu’on fasse de la lumière !

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Комментарии
Татьяна
Татьяна 21.11.2024 - 19:18
Одним словом, Марк Твен!
Без носенко Сергей Михайлович
Без носенко Сергей Михайлович 25.10.2024 - 16:41
Я помню брата моего деда- Без носенко Григория Корнеевича, дядьку Фёдора т тётю Фаню. И много слышал от деда про Загранное, Танцы, Савгу...