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Le fou de Bergerac - Simenon

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— Je comprends ! L’autre a donc été inscrit sur les registres de décès comme Samuel Meyer… Le docteur a épousé Germaine… Il vous a emmenées toutes les trois en France…

— Pas tout de suite… Nous avons d’abord séjourné en Espagne… Il attendait des papiers qui ne venaient pas…

— Samuel ?

— On l’avait envoyé en Amérique en lui recommandant de ne plus mettre les pieds en Europe. Il n’avait déjà plus l’air d’un homme qui a tous ses esprits.

— Enfin, votre gendre a reçu des papiers au nom de Rivaud. Il est venu s’installer ici avec sa femme et sa belle-sœur. Et vous ?

— Il me passait une petite pension pour rester à Bordeaux… J’aurais préféré Marseille, par exemple, ou Nice… Nice surtout ! Mais il voulait me garder sous la main… Il travaillait beaucoup… Malgré tout ce qu’on peut dire de lui, c’était un bon docteur qui n’aurait pas fait tort à un malade pour…

Afin d’échapper à la rumeur du dehors, Maigret avait fermé la fenêtre. Les radiateurs chauffaient. L’odeur de pipe emplissait la chambre.

Comme une enfant, Germaine gémissait toujours et sa mère expliquait :

— Depuis qu’elle a été trépanée, c’est encore pis qu’avant… Déjà elle n’était pas gaie… Pensez ! une enfant qui a passé toute sa jeunesse dans son lit !… Après, c’étaient des larmes pour un rien… Et elle avait peur de tout.

Bergerac n’avait rien deviné ! Toute cette vie trouble, dramatique, s’était greffée sur sa vie de petite ville et personne ne s’en était douté.

On disait : « la villa du docteur »… « l’auto du docteur »… « la femme du docteur »… « la belle-sœur du docteur »…

Et on ne voyait que la villa jolie et proprette, l’auto de bonne marque, au capot allongé, la jeune fille sportive, aux lignes nerveuses, la femme un peu lasse…

À Bordeaux, dans quelque appartement bourgeois, Mme Beausoleil finissait péniblement une vie agitée. Elle qui avait tant eu à s’inquiéter du lendemain, elle qui avait dépendu du caprice de tant d’hommes, pouvait enfin prendre des allures de rentière !

Elle devait être considérée dans son quartier. Elle avait des habitudes. Elle payait régulièrement les fournisseurs.

Et quand ses enfants venaient la voir, c’était dans une solide voiture…

Voilà qu’elle pleurait à nouveau. Elle se mouchait, dans un mouchoir trop petit, presque tout en dentelle.

— Si vous aviez connu Françoise… Tenez ! quand elle est venue accoucher chez moi… Car c’est chez moi que cela s’est passé… On peut parler devant Germaine !… Elle le sait bien…

Mme Maigret écoutait, épouvantée. Car, pour elle, c’était la découverte d’un monde affolant.

Des voitures s’étaient rangées sous les fenêtres. Le médecin légiste était arrivé, ainsi que le juge d’instruction, le greffier, le commissaire qu’on avait enfin trouvé à la foire d’un village voisin où il voulait acheter des lapins.

On frappa à la porte. C’était Leduc, qui regarda timidement Maigret pour savoir s’il pouvait entrer.

— Laisse-nous, vieux, veux-tu ?

Il valait mieux rester dans cette atmosphère d’intimité. Pourtant, Leduc s’approcha du lit, dit à voix basse :

— Si elles veulent encore les voir tels qu’ils sont tombés…

— Mais non ! Mais non !

À quoi bon ? Mme Beausoleil attendait le départ de l’intrus. Elle avait hâte de reprendre ses confidences. Avec ce gros homme couché, qui la regardait avec bienveillance, elle se sentait en confiance.

Il la comprenait. Il ne s’étonnait pas. Il ne posait pas de questions ridicules.

— Je crois que vous parliez de Françoise…

— Oui… Eh bien ! quand l’enfant est né… Mais… Sans doute ne savez-vous pas encore tout…

— Je sais !

— C’est elle qui vous l’a dit ?

— M. Duhourceau était là !

— Oui ! Je n’ai jamais vu un homme aussi nerveux, aussi malheureux… Il disait que c’était un crime de faire des enfants, parce qu’on risque toujours de tuer la mère… Il écoutait les cris… J’avais beau lui offrir des petits verres…

— Votre appartement est grand ?

— Trois pièces…

— Il y avait une sage-femme ?

— Oui… Rivaud ne voulait pas prendre tout seul la responsabilité… Alors…

— Vous habitez vers le port ?

— Tout près du pont, dans une petite rue où…

Encore une scène que Maigret voyait comme s’il y avait assisté. Mais, en même temps, il en voyait une autre : celle qui se déroulait au même instant juste au-dessus de sa tête.

Rivaud et Françoise que le docteur, aidé des gens des pompes funèbres, séparait de force…

Le procureur devait être plus blanc que les formulaires remplis d’une main tremblante par le greffier…

Et le commissaire de police, qui, une heure plus tôt, au marché, ne s’occupait que de ses lapins !

— Quand M. Duhourceau a su que c’était une fille, il s’est mis à pleurer et, aussi vrai que je suis ici, il a mis sa tête sur ma poitrine… Même que je croyais qu’il allait se trouver mal… Moi, j’essayais de ne pas le laisser entrer, parce que…

Et elle s’arrêtait à nouveau, méfiante, regardait Maigret à la dérobée.

— Je ne suis qu’une pauvre femme qui a toujours fait son possible… Ce ne serait pas bien d’en abuser pour…

Germaine Rivaud avait cessé de gémir. Assise au bord du lit, elle regardait droit devant elle d’un air égaré.

C’était le plus dur moment à passer. On transportait les corps, étendus sur des civières, et on entendait celles-ci qui heurtaient les murs.

Et les pas lourds, prudents, des porteurs descendant marche par marche… Et une voix qui disait :

— Attention à la rampe…

Un peu plus tard, on frappait à la porte. C’était Leduc, qui sentait l’alcool, lui aussi, et qui balbutia :

— C’est fini…

En effet, dehors, une voiture démarrait.

XI

Le père

— Vous annoncerez le commissaire Maigret !

Il souriait malgré lui, parce que c’était sa première sortie et qu’il était heureux de marcher comme tout le monde ! Il en était même fier, d’une fierté d’enfant qui fait ses premiers pas !

Et pourtant il avait une démarche molle, vacillante. Le domestique ayant oublié de le faire asseoir, il dut attirer un siège à lui, car il sentait déjà une sueur inquiétante lui perler au front.

Le valet de chambre à gilet rayé ! Une tête de paysan promu à un plus haut grade et qui en ressentait un orgueil insensé !

— Si Monsieur veut se donner la peine de me suivre… M. le procureur va recevoir Monsieur tout de suite…

Le valet ne se doutait pas de ce qu’un escalier peut être pénible à gravir. Maigret tenait la rampe. Il avait chaud. Il comptait les marches… Encore huit…

— Par ici… Un instant…

Et la maison était exactement telle que Maigret l’avait imaginée ! Il était dans le fameux bureau du premier étage, qu’il avait tant de fois évoqué !

Un plafond blanc, aux lourdes solives de chêne verni. Un âtre immense. Et surtout des bibliothèques qui couvraient tous les murs…

Il n’y avait personne. On n’entendait pas les pas, dans la maison, car tous les planchers étaient garnis d’épais tapis.

Alors Maigret, malgré sa hâte d’être assis, marcha vers le bas des bibliothèques, là où un treillage métallique et un rideau vert défendaient les livres contre les regards.

Il eut de la peine à passer son doigt dans une maille du treillage. Il attira le rideau. Derrière, il n’y avait plus rien, que des rayons vides !

Et quand il se retourna, il vit M. Duhourceau qui avait assisté à cette expérience.

— Voilà deux jours que je vous attends… J’avoue…

À jurer qu’il avait maigri de dix kilos ! Ses joues étaient ravagées. Et surtout les plis de la bouche étaient deux fois plus profonds.

— Asseyez-vous, je vous en prie.

M. Duhourceau était mal à l’aise. Il n’osait pas regarder le visiteur en face. Il s’assit lui-même à sa place habituelle, devant un bureau chargé de dossiers.

Alors Maigret jugea qu’il serait plus charitable d’en finir en quelques mots. Plusieurs fois le procureur lui avait manqué. Plusieurs fois aussi il s’était vengé de lui. Maintenant, il n’était pas loin de le regretter.

Un homme de soixante-cinq ans, tout seul dans cette grande maison, tout seul dans la ville dont il était le plus haut magistrat, tout seul dans la vie…

— Je vois que vous avez brûlé vos livres.

Il n’y eut pas de réponse. Rien qu’un peu de sang rose aux pommettes du vieillard.

— Permettez-moi d’en finir d’abord avec la partie judiciaire de l’affaire… Je crois, d’ailleurs, qu’à l’heure qu’il est, tout le monde est d’accord là-dessus…

« Samuel Meyer, qui est ce que j’appellerai un aventurier bourgeois, c’est-à-dire un commerçant patenté naviguant dans les eaux défendues, a l’ambition de faire de son fils un homme important…

« Études de médecine… Le docteur Meyer devient l’assistant du professeur Martel… Tous les rêves d’avenir lui sont permis…

« Premier acte : à Alger. Le vieux Meyer reçoit des complices qui le menacent… Il les expédie dans l’autre monde…

« Deuxième acte : à Alger toujours. Il est condamné à mort. Sur les conseils de son fils, il simule une méningite. Et le fils le sauve.

« Celui qui va être enterré sous son nom est-il déjà mort à ce moment-là ? Nous ne le saurons sans doute jamais !

« Le fils Meyer, qui prend désormais le nom de Rivaud, n’est pas un de ces hommes qui ont besoin de s’épancher. Il est fort. Il se suffit à lui-même…

« C’est un ambitieux ! Un être d’une intelligence aiguë, qui connaît sa valeur et qui veut en profiter coûte que coûte…

« Une seule faiblesse : il tombe vaguement amoureux d’une petite malade et il l’épouse, pour s’apercevoir, un peu plus tard, qu’elle est sans intérêt…

Le procureur ne bougeait pas. Pour lui aussi, cette partie du récit était sans intérêt. Il attendait la suite avec autrement d’angoisse.

— Le nouveau Rivaud expédie son père en Amérique. Il s’installe ici avec sa femme et sa jeune belle-sœur… Il installe enfin sa belle-mère à Bordeaux…

« Et, bien entendu, ce qui doit arriver arrive… Cette jeune fille qu’il a sous son toit l’intrigue, l’irrite, finit par le séduire.

« C’est le troisième acte. Car, à ce moment, le procureur de la République, par des moyens que je ne connais pas encore, est sur le point de découvrir la vérité sur le chirurgien de Bergerac.

« Est-ce exact ?

Et, nettement, sans une hésitation, M. Duhourceau répliqua :

— C’est exact.

— Donc, il faut le faire taire… Rivaud sait que ce procureur a une manie relativement inoffensive… Les livres érotiques, qu’on appelle par euphémisme : éditions pour bibliophiles…

« C’est la manie des vieux garçons qui ont de l’argent à dépenser et qui trouvent trop fade une collection de timbre-poste…

« Rivaud va s’en servir… Sa belle-sœur vous est présentée comme une secrétaire modèle… Elle viendra vous aider à certains classements… Et elle vous forcera peu à peu à lui faire la cour…

« Excusez-moi, monsieur le procureur… Ce n’est pas difficile… Le plus difficile, c’est ceci : Françoise est enceinte… Et il faut, pour vous avoir à merci, que vous soyez persuadé que l’enfant est de vous…

« Rivaud ne veut plus fuir à nouveau, changer de nom, chercher une autre situation… On commence à parler de lui… L’avenir est magnifique…

« Françoise réussit…

« Et, bien entendu, quand elle vous annonce qu’elle va être mère, vous marchez…

« Désormais, vous ne direz plus rien ! On vous tient ! Accouchement clandestin à Bordeaux, chez Joséphine Beausoleil, où vous continuerez à aller voir ce que vous prenez pour votre enfant…

« C’est la Beausoleil elle-même qui me l’a dit…

Et Maigret, par pudeur, évitait de regarder son interlocuteur.

— Comprenez-vous ? Rivaud qui est un arriviste ! Un homme supérieur ! Un homme qui ne veut pas être entravé par son passé ! Il aime réellement sa belle-sœur ! Eh bien ! malgré cela, le souci de l’avenir est plus fort et il tolère qu’une fois au moins elle passe dans vos bras. C’est la seule question que je me permettrai de vous poser. Une fois ?…

— Une fois !

— Après, elle s’est dérobée, n’est-pas ?

— Sous divers prétextes… Elle avait honte…

— Mais non ! Elle aimait Rivaud ! Elle ne vous avait cédé que pour le sauver…

Maigret continuait à éviter de regarder vers le fauteuil de son interlocuteur. Il fixait l’âtre où flambaient trois belles bûches.

— Vous êtes persuadé que l’enfant est de vous ! Désormais, vous vous tairez ! Vous êtes reçu à la villa ! Vous allez à Bordeaux voir votre fille…

« Et voilà le drame. En Amérique, Samuel – notre Samuel de Pologne et d’Alger – est devenu complètement fou… Il a assailli deux femmes, aux environs de Chicago, et les a achevées d’un coup d’aiguille dans le cœur… Cela, je l’ai découvert dans les archives…

« Pourchassé, il arrive en France… Il n’a plus d’argent… Il gagne Bergerac… On lui donne des fonds pour disparaître à nouveau, mais, en partant, dans une nouvelle crise, il commet un autre forfait…

« Le même !… Strangulation… Aiguille… C’est dans le bois du Moulin-Neuf, qui conduit de la villa du docteur à la gare… Mais soupçonnez-vous déjà la vérité ?…

— Non ! je le jure.

— Il revient… Il recommence… Il revient encore et il rate… Chaque fois Rivaud lui a donné de l’argent pour s’en aller… Il ne peut pas le faire interner… Il peut encore moins le faire arrêter…

— Je lui ai dit qu’il fallait que cela finisse.

— Oui ! Et il a pris ses dispositions en conséquence. Le vieux Samuel lui téléphone. Son fils lui dit de sauter du train un peu avant la gare.

Le juge était blafard, incapable d’une parole, d’un mouvement.

— C’est tout ! Rivaud l’a tué ! Il ne tolérait rien entre lui et l’avenir pour lequel il se sentait fait… Pas même sa femme, qu’il aurait envoyée un jour ou l’autre dans un monde meilleur !… Car il aimait Françoise, dont il avait une fille… Cette fille que…

— Assez !

Alors Maigret se leva, simplement, comme après une visite quelconque.

— C’est fini, monsieur le procureur.

— Mais…

— C’était un couple ardent, voyez-vous ! Un couple qui n’admettait pas d’obstacles ! Rivaud avait la femme qu’il lui fallait : Françoise qui, pour lui, acceptait votre étreinte…

Il ne parlait plus qu’à un pauvre bonhomme incapable de réactions.

— Le couple est mort… Il reste une femme qui n’a jamais été bien intelligente, ni bien dangereuse : Mme Rivaud, qui recevra une pension… Elle ira vivre avec sa mère dans un logement de Bordeaux ou d’ailleurs… Ces deux-là ne parleront pas…

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Комментарии
Татьяна
Татьяна 21.11.2024 - 19:18
Одним словом, Марк Твен!
Без носенко Сергей Михайлович
Без носенко Сергей Михайлович 25.10.2024 - 16:41
Я помню брата моего деда- Без носенко Григория Корнеевича, дядьку Фёдора т тётю Фаню. И много слышал от деда про Загранное, Танцы, Савгу...